Entretien avec Christophe Grapperon

Le 30 septembre 2021


LES ENTRETIENS D’ACCENTUS

#1 Christophe Grapperon

 

Chef de chœur, Christophe Grapperon semble infatigable : il assure la direction musicale des Brigands aux côtés de Loïc Boissier et celle des Solistes XXI, il travaille avec l’Opéra Comique autour de nombreuses productions lyriques et répond toujours présent aux projets de pédagogie et de transmission, fervent défenseur de l’art choral. Son aventure avec accentus commence en avril 2010, et il devient le chef associé du chœur en 2013.

Du 2 au 23 octobre 2021, Christophe Grapperon dirigera accentus dans un programme mêlant Reynaldo Hahn (1874-1947) et Camille Saint-Saëns (1835-1921). Le chœur restituera l’ambiance des salons parisiens de la Belle Époque avec des mélodies aussi séduisantes que variées des deux compositeurs. Le temps d’un entretien, Christophe Grapperon vous présente ce programme et ces deux compositeurs phares de l’écriture chorale en France.

Plus d’informations sur le programme et les concerts en cliquant ici.
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Vous avez réuni dans ce programme deux compositeurs du XXe siècle, Camille Saint-Saëns et Reynaldo Hahn. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous avez souhaité proposer aux spectateurs avec ce programme ?
Christophe Grapperon : Camille Saint-Saëns et Reynaldo Hahn ne sont pas des compositeurs qu’on associe spontanément, mais à quelques égards, ils endossent un même paradoxe. Camille Saint-Saëns est un compositeur inclassable par sa longévité et sa puissance de réflexion esthétique, à la fois novateur et conservateur. De la même manière, Reynaldo Hahn – homme éminemment de son temps – regarde le passé comme un élément esthétique clef mais est tourné vers l’avenir dans un style très personnel.

Évidemment ce qui est intéressant quand on se permet de faire dialoguer deux compositeurs, c’est de faire entendre deux points de vue différents, deux postures distinctes. Ainsi je crois qu’on pourra tout à fait entendre grâce à leur style personnel et génial deux univers très singuliers et dans le même temps ressentir l’immense poésie qui se dégage de l’un et de l’autre.

Existe-t-il une écriture à la française dans le répertoire a cappella ? Quelle place occupent Reynaldo Hahn et Camille Saint-Saëns dans ce répertoire ?

C.G. : Le répertoire français a cappella du XIXe siècle n’est pas à proprement parler le fer de lance de la musique « classique ». J’aime à dire que depuis (au moins) le XVIIIe siècle, notre fascination pour la machine – en musique, l’instrument – a fait basculer notre idéal sonore vers l’orchestre, vers l’instrumentiste reléguant le chanteur au mieux à la première place au théâtre, sinon à une forme chorale délaissée et quasiment toujours assujettie à l’orchestre.
Mais pour autant, cette forme chorale n’est pas moribonde, et si elle n’occupe manifestement plus la première place dans le catalogue des compositeurs, elle n’en demeure pas moins, par petites touches, en France par exemple, vivace…

 

Saint-Saëns touche au sublime de l’imaginaire poétique et Hahn compose un écrin d’or et de velours au poème.

Il faudrait parler longuement de ce qui caractérise une écriture à la française, car il existe je crois bel et bien des invariants – dont certains se partagent avec d’autres pays naturellement. La division des voix en un camaïeu vocal, dont, quand l’effectif le permet, on peut rendre la subtilité des couleurs des différentes combinaisons des voix, l’enchaînement et l’attention harmonique soutenue par des mélodies très bien troussées, le jeu musicalement poétique avec le poème lui-même… Et si on s’en tient très sommairement à cela, Saint-Saëns dans un dépouillement de moyens touche au sublime de l’imaginaire poétique, et Hahn déploie sa science harmonique, mélodique et rythmique pour composer un écrin d’or et de velours au poème.
accentus a par le passé enregistré Figure humaine (naïve, 2001) de Francis Poulenc (1899-1963). Quelle place occupe ce compositeur dans le paysage choral par rapport à Reynaldo Hahn et Camille Saint-Saëns ?

C.G. : Francis Poulenc est probablement le compositeur central du XXe siècle pour l’écriture chorale en France notamment, non pas qu’il soit le seul mais parce que sa création musicale ne relègue pas l’écriture chorale en périphérie de ses recherches. En cela Reynaldo Hahn est proche de Poulenc. Dans la dédicace des « rondels » – nous en interprétons dans ce programme deux extraits, « Le Jour » et « La Nuit » -, Hahn écrit de manière assez touchante toute l’énergie qu’il déploie pour cultiver la science de la prosodie de la langue française – sujet sans fin. Ce travail s’entend naturellement lorsqu’il compose ses mélodies et ses opérettes.

Pour Camille Saint-Saëns, c’est probablement plus nuancé : sa production d’œuvres instrumentales est écrasante par rapport à sa production chorale. Mais dans le même temps il est sensible au mouvement orphéonique [voir note sous la réponse] pour lequel il écrit plusieurs dizaines de pièces ; comme souvent avec Saint-Saëns, il est là où on ne l’attend pas : dans le paradoxe.

Francis Poulenc cultive les paradoxes dans ses compositions, notamment chorales, dans le déploiement d’une science – fût-elle instinctive. Il crée un territoire esthétique inégalé, qui lui est propre, mais qui par ricochet nous permet d’imaginer des espaces de même nature pour Saint-Saëns et Hahn, mais aussi pour beaucoup d’autres compositeurs : Poulenc est un phare, une étoile du berger.

[Note] Fondé par le compositeur Louis Bocquillon, dit Wilhem, en 1833, le mouvement des orphéons, appelés également Sociétés chorales ou Sociétés orphéoniques, était un mouvement festif et musical de masse. Il rassemblait, en France, puis aussi dans d’autres pays, des milliers de chorales masculines, constituées de chanteurs issus des classes moyennes ou populaires. De très nombreux concerts et défilés furent organisés, rassemblant jusqu’à des milliers de choristes.
Ce programme sera enregistré par Radio France / Alpha Classics pour votre premier disque à la direction d’accentus. Est-ce que l’enregistrement d’un disque implique un travail supplémentaire, une manière de diriger différente ?

C.G. : J’ai surtout la grande chance de travailler avec des chanteurs très talentueux et érudits. Ce qui me permet au bout d’une dizaine d’années de compagnonnage sous la bienveillance de Laurence Equilbey d’élaborer une confiance et un style de travail.
J’aborde le travail pour l’enregistrement avec l’exigence très forte du geste vocal et musical le plus juste et précis possible et en même temps dans le travail paradoxal de la spontanéité – probablement un élément du style français que l’on n’aime pas trop mettre en avant – ce qui donne beaucoup de souplesse à la musique.

 

Ce qui me permet au bout d’une dizaine d’années de compagnonnage sous la bienveillance de Laurence Equilbey d’élaborer une confiance et un style de travail.

La direction au moment de l’enregistrement est nécessairement différente de celle du concert, car je me suis rendu compte que d’une certaine manière je dirige aussi le public… Je me rapproche alors plus d’une direction de répétition pendant l’enregistrement, car j’aime faire en répétition comme si chaque moment chanté était le bon !
L’enregistrement est un sport à haut risque pour le musicien, et cela nous demandera de cultiver notre sang froid pour arriver à ce que ce disque ait comme plus grand mérite de donner envie de réécouter et de rejouer cette musique parce qu’on y découvrira quelque chose de notre histoire qui nous parlera en secret sans fards et débarrassé des clichés.
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Pour aller plus loin

Depuis sa création, accentus place l’a cappella au cœur de son répertoire. Le chœur vise une excellence technique et artistique, indispensable pour ces œuvres exigeantes. Le chef associé Christophe Grapperon et deux chanteurs d’accentus, Marie Picaut et Pierre Jeannot, vous parlent des difficultés – et de la beauté – de ce répertoire !

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